lundi 15 décembre 2008

Ulysse le jardinier par GSB

I - CDI

Je viens de signer un Cé-Dé-Iiiii ! ». Joseph ne bronche pas. Il me regarde d’un œil seulement ; l’autre est tourné vers une pauvre fleur de pissenlit qu’il arrache d’un geste vif. Il paraît satisfait à la vue des racines translucides et terreuses de la plante frêle qu’il écrase dans son petit poing charnu et musclé. Il l’enfouit dans une de ses poches avant-droites.

Pendant que je soliloque : « CDI, Contrat à Durée In-dé-terminée, Infinie, Incommensurable, Illimitée, Impossible à Deviner, Impossible de s’en échapper dans quelques mois, Incontestablement STABLE…», Joseph, d’un hochement de tête et d’un haussement de sourcils simultanés, me propose de le suivre le long de l’allée goudronnée.
Il s’arrête sous le tulipier du Gabon du carré D, s’adosse à l’épais tronc sinueux et me fait signe de m’asseoir dans l’herbe grasse. Il sort d’une poche arrière droite un canif et une mangue. Nous nous régalons des lamelles sucrées qu’il découpe. Puis, les dents occupées à ronger le noyau fibreux, il marmonne dans ma direction :
« - Samedi et dimanche prochains, toute la journée : régime bananes, lundi : pain blanc, lundi soir : potage et mardi : diète.
- Quoi ? Diète ? C’est une blague ? Tu ne me trouves pas assez maigre ?
- Discute-pas, dit-il en recrachant le noyau parfaitement lisse qu’il glisse cette fois-ci dans une des pochettes de son pantalon de treillis.
Devant son regard noir insistant et le léger sourire qui se dessine sur ses lèvres, j’accepte, dubitatif.

De toute façon, personne ou presque n’ose contredire Joseph, l’Indo-Wallisien. Non parce qu’il est trapu et peu causant, mais parce que Joe est notre référence. Il connaît parfaitement chaque parcelle du cimetière du 6ème Km. Il consigne depuis trente - cinq ans dans d’innombrables petits carnets à peu près tout ce qui se trouve ou se passe ici. Il poursuit le travail de son maître, mort vingt ans auparavant. Il va le saluer chaque matin. Ainsi, à six heures très précisément, il se dirige vers sa tombe, arrose le bonzaï de pin colonnaire posé devant la stèle parfaitement blanche et embrasse la photographie jaunie encadrée de métal dentelé, représentant le vieux japonais souriant, aux larges lunettes écaille.

Il est presque huit heures du matin mais le soleil tape déjà fort. Joseph baisse légèrement la visière de sa casquette verte Gifo. Il lâche : « Allez ! », s’éloigne, remonte une petite colline herbeuse puis emprunte une des allées principales. Je ne l’aperçois déjà plus.

La camionnette blanche de Théo arrive alors en trombe et freine brusquement à mon niveau.
- Bonjour Ulysse ! me lance le Lifouen, les yeux mi-clos, un sourire béat collé aux lèvres comme chaque matin, après sa première bouffée de chanvre.
- Alors copain, tu restes parmi nous à ce qu’il paraît ?!
- Oui ! Tu m’offres une petite taffe pour fêter ça et on va nettoyer les tombes du carré B?
- Dac Doc ! Monte !

A peine ai-je claqué la portière que Théo démarre vers le tas de compost au fond du cimetière, le long de la mangrove.
C’est là que se trouve notre petite baraque en tôle. A côté, quatre haies d’hibiscus entourent un monticule de branchages entremêlés d’herbes coupées et de fleurs fanées. Cachés par l’amas végétal, poussent de robustes plants de Cannabis Sativa. Pendant que je tente de humer le parfum houblonné des inflorescences, Théo a disparu dans le réduit. Il resurgit, un joint fumant aux lèvres, deux bières fraîches dans chaque main. Une fois assis par terre, nous contemplons les fines feuilles ciselées de cannabis ainsi que la petite forêt tropicale amoureusement entretenue par Joe : tarots aux longues feuilles en forme de patte d’oie, bananiers alourdis de leur régime, papayers à l’allure ahurie, manguier au feuillage dense.

Je songe à mon père et à son potager à l’ancienne qu’il bichonne dans la campagne girondine : ses tomates juteuses jaunes, noires ou rouges, souvent difformes, parfois très sucrées, qui remportent beaucoup de succès sur les marchés de Bordeaux.
Il faut absolument que je lui téléphone… J’espère qu’il n’est pas retourné avec ses moutons, sur un de ses flancs de montagnes pyrénéens, occupé à regarder je ne sais quelle constellation pendant que ma mère trime cinquante heures par semaine pour que la famille vive dignement ! Je me lève agacé sous le regard étonné de Théo.

L’allure très décontractée du mélanésien m’apaise rapidement : de longues dreadlocks dépassent de son bonnet de laine, frôlent ses épaules et son buste revêtu d’un simple débardeur jaune presque transparent. Théo écrase son mégot du bout de sa tong et se lève d’un bond. Il jette les cannettes vides en direction d’un container ; quand elles atterrissent à l’intérieur, il s’exclame ravi : « Yesss ! ». Soudain, il m’annonce :
« - Ulysse, c’est le mois des bonnes nouvelles ! Toi, tu prolonges ton contrat chez nous. Moi, ma petite Ludivine me passe la bague au doigt. C’est décidé ! Je t’invite chez moi, à Lifou, le 2 novembre prochain pour notre mariage… Viens avec ta fiancée bien sûr !
- Félicitations, mon vieux ! Je viendrai avec grand plaisir !... Mais, dis-moi, Ludivine, c’est bien la jolie petite métisse Indonésienne…?
- Oui, …que j’ai rencontrée il y a exactement sept mois, deux semaines et trois jours ! Tu venais tout juste d’arriver à Nouméa et au 6ème, mon cher zozo !
- Ludivine aussi, me semble-t-il, foulait « tout juste » l’herbe du 6ème quand tu l’as repérée petit malin! ».

Je me souviens encore très bien de ces imposantes funérailles auxquelles Ludivine participait. Son demi-frère, un jeune Indonésien d’une vingtaine d’années, s’était tué en voiture entre Nouméa et la Tontouta. Dès l’annonce de la funeste nouvelle, une dizaine de personnes débarquaient au 6ème, équipées de sacs-poubelles, de balayettes, de pots de peintures aux couleurs éclatantes et de vases en céramiques très kitsch, pour nettoyer et décorer le caveau familial. Le jour de l’enterrement a pris des allures de fête : derrière le cercueil, dans la longue procession, on lançait pétales de fleurs et pièces de monnaie. Durant les nuits suivantes, la tombe brillait de centaines de petites flammes.

Théo avait très vite prévenu les fossoyeurs : la jolie demoiselle aux traits asiatiques qui venait se recueillir chaque jour en fin de matinée sur le carré D était pour lui seul !
J’ai d’ailleurs été stupéfait d’apprendre que mes collègues avaient presque tous épousé des veuves rencontrées au cimetière. Aujourd’hui, un seul fossoyeur est encore célibataire malgré le temps qu’il consacre, en haut de la « colline des incinérés », à peaufiner sa coiffure et à admirer son reflet sur les plaques de granit poli.

Théo me tire de mes pensées :
«- Aurons-nous bientôt l’honneur de rencontrer ta fiancée, Lys ? Elle a un prénom de fleur ou d’oiseau si je me souviens bien ?
- Elle s’appelle Arabelle !
Et j’ajoute, peu convaincu :
- Oui, je vous la présenterai ! ».

Nous chargeons dans la camionnette râteaux, pelles, débroussailleuses et arrosoirs et nous nous rendons au carré B. Deux fossoyeurs achèvent de creuser une fosse à la pelle. Le trou est de petite taille, comme le sont les tombes alentour. Sur l’une d’entre elles, deux anges en céramique blanche oscillent dans une balançoire minuscule en fer forgé. Une stèle porte l’inscription « 8 mai 1971- 11 décembre 1973 ». On a planté à côté un rosier aux tiges dépourvues d’épines. Théo m’explique que l’enfant disparue devait être Indonésienne.
Pendant que nous nettoyons le carré C, j’aperçois trois enfants jouant à cache-cache entre les sépultures. Ils se roulent dans l’herbe, rient et nous crient : « Bonjour Messieurs!». Parmi eux, une jeune Mélanésienne aux cheveux en touffe crépue et noire, me regarde de ses grands yeux bleus.





II- BIZUTAGE


Ma journée a été plutôt rude : je n’ai rien mangé. Joseph m’a même interdit de fumer quoique ce soit. J’ai seulement eu droit à l’eau du robinet du carré où j’étais affecté aujourd’hui. Mon secteur était, heureusement, en zone dite « facile », c’est-à-dire situé au bas de l’église, parfaitement plat, ombragé et bien entretenu. Mes collègues, sur les consignes de Joe, ne m’ont adressé la parole que pour me dire « Bonjour et Au revoir ».

Vers onze heures du matin, à la pause de la mi-journée, je les ai aperçus partir déjeuner au « compost », hilares. Sortir du cimetière m’étant interdit, je suis allé m’allonger sur un coin d’herbe venté, sous un cyprès très échevelé. Je me suis rapidement assoupi.
J’ai rêvé que je croquais d’excellentes racines de pissenlit, très sucrées. J’en proposais à Arabelle. Elle les refusait arguant qu’elle était enceinte. Elle se balançait dans un vieux rocking-chair grinçant tenant par la main la jeune fille Kanak aux yeux bleus. Toutes deux se sont mises à chanter en drehu. La scène était charmante. J’ai voulu les prendre en photo mais je me retrouvai soudain au milieu de broussailles épineuses qui me transperçaient les pieds. Mes cris de douleur provoquaient les éclats de rire des jeunes femmes. Arabelle me certifiait : « j’ai pourtant ôté toutes les épines, mon amour ! ». Je me suis réveillé les pieds rouges : j’avais attrapé un coup de soleil.

Depuis plus d’une semaine déjà, il m’est impossible de discuter avec Arabelle par internet. Dès l’instant où Joe m’a annoncé, de façon détournée, que je serai initié au rite du cimetière du 6ème Km, ma connexion sur le web a été mauvaise. Je ne peux la joindre à Bordeaux, ni à treize heures, ni à vingt-deux heures, horaires habituels de nos rendez-vous
Je ne lui ai pas encore révélé mon intention de rester plus longtemps en Calédonie. Sera-t-elle d’accord pour venir me rejoindre ? Trouvera-t-elle du travail dans son domaine ici ? Y-a-t-il des postes vacants de chercheurs en biologie moléculaire à l’Université de Nouméa ou dans une quelconque société privée ? Peut-être voudra-t-elle retourner à Melbourne et retravailler avec l’équipe qui l’entourait durant sa dernière année de thèse ?

Je garde un souvenir mitigé de Melbourne. Nous y retournerions, je ne ramasserais plus aucune pomme à Shepparton! J’ai certes pu rapidement gagner de l’argent et prolonger ainsi mon visa. J’ai également eu l’occasion de rencontrer des personnes qui sont devenues nos amis tels Ulrick et Lars. Mais, je ne veux plus monter puis descendre des centaines de fois par jour, les échelles glissantes à m’arracher la peau des pieds. Je ne veux plus me gratter le visage et les avant-bras à longueur de temps, irrités par les insecticides ou piqués par des nuées de satanées bestioles ! Au contraire, donner des cours de français ou prêter ma voix à des enregistrements de CD linguistiques a été par la suite une vraie détente ; je recommencerais volontiers. Grâce à ce travail, j’ai pu retrouver Arabelle chaque jour de la semaine et non plus en week-end uniquement pour profiter enfin, avec elle, de la vie culturelle de Melbourne.
La vie australienne nous fut douce jusqu’à ce que nous nous disputions violemment.

Nous ne nous nous adressions plus la parole depuis quelques jours quand Arabelle a appris la mort soudaine de son père. Très vite, elle a rejoint la France où elle a décidé de rester le temps nécessaire afin de « se ressourcer, réfléchir à sa relation avec Ulysse, régler les problèmes d’héritage ». C’est ce qu’elle a confié à une de mes sœurs.

De mon côté, j’ai quitté l’Australie pour la Calédonie histoire de changer d’air et de découvrir un bout du sol français dans l’océan pacifique.

Depuis, nous n’avons plus jamais évoqué notre avenir. Arabelle me parle beaucoup de son père. Elle dîne régulièrement avec mes sœurs et mes parents qu’elle informe sur ma vie actuelle. Elle m’a beaucoup vexé dernièrement quand elle m’a avoué en ricanant que je ressemblais de plus en plus à mon père !... « Fuyant les responsabilités, cherchant la solitude à l’autre du bout du monde ou la compagnie des objets anciens ! ».

Elle m’agace, elle ne comprend rien ! Elle ignore que je viens d’accepter un CDI et que j’ai bien l’intention de mettre de l’argent de côté pour acheter un petit local où j’entreposerai et vendrai de beaux objets de brocante entre deux marchés! A ce propos, dès mon rite d’initiation terminé, je me rendrai à l’exposition-vente qui a lieu au Quartier Latin, dans une ancienne maison coloniale. Elle est sur le point d’être détruite et remplacée par une résidence de neuf étages.



A treize heures, ma pause achevée, j’étais ravi de croiser un de mes collègues. Malheureusement, il n’a pas ouvert la bouche. Il a esquissé un sourire puis a poursuivi sa quête d’eau stagnante dans les bacs et les vases. Les employés du cimetière sont, en effet, devenus particulièrement vigilants depuis que l’un d’entre eux est mort d’une crise hémorragique de dengue, il y a quatre ans. Ils prennent un plaisir particulier à détecter et massacrer les larves d’aèdes et d’anophèles qui pullulent dans les petites retenues d’eau en saison chaude.

J’ai rejoint, docile, mon secteur de travail. J’ai aperçu alors, de nouveau, la jeune fille aux yeux bleus, cachée derrière le tronc d’un niaouli. Elle m’a souri et m’a soufflé gentiment : « Bonjour Ulysse ! ». Comment connaît-elle mon prénom ? C’est Joe qui a dû le lui dire ; il noue rapidement des liens d’amitié avec tous les enfants qu’il rencontre.

De retour sur ma zone, j’ai entrepris d’arracher, contre mon gré, les quelques herbes indésirables qui s’agrippent aux tombes, dans leurs microfissures de granit. J’ai taillé le bel arbuste épineux aux fleurs jaunes planté là, j’ai même dépoussiéré quelques sépultures de ce carré huppé.
Je préfère travailler dans les secteurs plus isolés, qui semblent laissés à l’abandon. Les stèles disparaissent parfois derrière les herbes hautes. Les défunts peuvent, j’en suis certain, deviser entre eux plus tranquillement et se reposer loin de la civilisation, du bruit infernal des éventuelles tondeuses. Je suis persuadé qu’ils n’ont que faire des tulipes, roses ou chrysanthèmes factices qui pâlissent au soleil !

Un avion militaire ventru a survolé bruyamment le cimetière. C’était un vieux bombardier américain. Il était impressionnant. Cela m’a étonné, je n’ai rien lu dans les Nouvelles qui eût trait à une prochaine commémoration ou démonstration aérienne. Peut-être encore un de ses aventuriers originaux et richissimes en escale à Nouméa ?

Une petite vieille vint s’agenouiller à quelques mètres de moi devant une tombe fraîchement repeinte en orange. Elle marmonnait en mélanésien. Sans tourner la tête, elle me réclama gentiment de l’eau pour arroser l’hibiscus aux fleurs jaunes qu’elle avait planté en mémoire de son mari. Des larmes coulaient le long des ses rides.
« Le orange et le jaune étaient ses couleurs préférées » gémit-elle. Elle sortit de son sac casino une lourde sculpture en céramique qu’elle posa avec précaution sur la pierre tombale, près d’un vase marron en forme de chien. C’était un faux-livre ouvert sur lequel on lisait, en face de l’image d’un petit oiseau jaune perché sur une branche, « Berce son repos de ton chant le plus beau ».
« C’est son anniversaire aujourd’hui ! » Elle me sourit, édentée. « Il aimait tant les animaux !... Moi, c’est Bertille ! Et toi ?
- Ulysse.
- Ulysse, ta Pénélope ne t’attend plus !
- Pardon ?
Elle baissa la tête puis ajouta :
- je vais voir Domino, mon chien ! A bientôt Ulysse !
Et elle se hâta de le retrouver dans la parcelle où sont enterrés les animaux domestiques.

Je me remis au travail difficilement sans parvenir à me concentrer. Mon râteau était vieux, rouillé, ses dents ne ratissaient aucune feuille et qu’avait inventé cette vieille Bertille : « Pénélope ne m’attend plus ? ». Mais c’est totalement faux ! Arabelle essaie régulièrement de me contacter ! C’est elle qui a parlé de mariage quand nous étions à Melbourne !...
Bon, c’est vrai que je ne lui avais pas répondu clairement ; l’idée de m’engager me faisait peur… Arabelle s’était profondément vexée de ma réaction. J’avais beau lui assurer que je l’aimais, que je n’avais jamais autant aimé quelqu’un, qu’elle me faisait beaucoup rire… Elle s’agaçait : « je te fais beaucoup rire ! Mais enfin, je ne te parle pas de jeux, d’amusements, ce que je veux c’est de l’engagement, c’est fonder une famille ! C’est du sérieux ! Je ne te demande pas d’analyser les vagues sensations que tu as quand tu fumes tes joints comme tu sais si bien le faire! Je te demande si tu es capable de vivre en adulte responsable ! Réponds-moi clairement : oui ou non ?»… J’étais encore une fois resté sans réponse ce qui l’avait rendue complètement folle de rage. Elle m’avait secoué de toutes ses forces et avait crié : « Mais ré-a-gis grosse larve ! Bouge-toi limace ! ». Elle avait éclaté en sanglots. La gorge serrée, j’étais sorti de l’appartement, j’avais pris la voiture et roulé sans m’arrêter pendant des heures, les vitres grandes ouvertes.


Joseph se tient devant moi : « Ulysse, va t’asseoir sur la E19, on arrive ! ».
Il est dix-huit heures, on ferme les grilles du cimetière. Le soleil décline. Je rejoins le carré E. Je me déchausse et m’assois sur la tombe située entre les numéros 18 et 20. La « mienne » ne porte ni nombre ni même inscription, ils ont dû s’effacer avec le temps. Elle est en ciment ; elle a été peinte en blanc mais est délavée aujourd’hui. J’essaie de redresser la croix en contre-plaqué sur laquelle je ne lis que X puis, plus loin, VI.
Je chuchote : « Bonsoir Madame, Mademoiselle ou Monsieur XVI ! Je suis assis sur votre tombe mais je respecte tout à fait votre repos éternel ! Je ne sais pas si vous êtes dessous ou quelque part là-haut avec d’autres âmes, au paradis, tranquille. Je participe à un bizutage, qui est un petit jeu de mortels, un peu idiot, souvent rigolo ; bref, rien de sérieux qui ne puisse souiller votre mémoire j’en suis certain ! ». En fait, je n’en sais rien.

Qu’est-ce qu’il fait noir ! Où est la lune ? Pas de lune. Le brouhaha de la circulation s’est calmé de l’autre côté des grilles de l’entrée. Je n’entends aucun bruit. Mais qu’est-ce que je fais là ? Je suis malade d’avoir accepté ! Je suis assis sur une tombe, dans un cimetière, en pleine nuit. Quel inconscient ! Je suis vraiment stupide ! Je vais me faire attaquer par des esprits qui vont m’arracher les entrailles, me déchiqueter le cœur, le cerveau !... Mais non, c’est mon imagination qui me joue des tours, je ne fais que penser à un très classique scénario de film d’horreur, une pure fiction ! Je ne sais pas du tout comment va se dérouler mon bizutage mais ça va sûrement être très être amusant. Je serai ravi demain ! Mes collègues ont rigolé, m’ont tapé dans le dos quand je leur ai posé des questions sur le déroulement de l’initiation, mais je n’ai pas réussi à leur tirer les vers du nez… En fait, je suis mort de peur ! J’ai encore le temps de partir. Je leur dirai que je suis contre toute manifestation de nuit dans un cimetière, c’est troubler la solennité des lieux!… Ou, je pourrais leur dire que je me sentais fatigué, courbaturé, que j’étais persuadé d’avoir attrapé la dengue.

Une ombre s’avance vers moi. Je reconnais la démarche de Joseph. Trop tard. Je dois rester. Il me dépose dans la main une pierre ovale, parfaitement polie. « Garde cette pierre dans tes mains puis, quand elle sera chaude, cale-là sous la plante de tes pieds. ». Joseph s’échappe déjà.
J’aimerais le supplier à haute voix : « Non, ne pars pas ! », mais je reste muet.

La pierre est extrêmement lisse, infiniment douce comme une peau humaine ! Comme celle d’Arabelle. Comme j’aimerais la toucher, caresser son corps tout entier, parcourir à nouveau tous les plis et arrondis de sa peau laiteuse couverte de tâches de rousseur, glisser mes doigts entre ses cheveux blonds… La pierre devient brûlante, je la dépose sous mes pieds. C’est invraisemblable, elle a déjà refroidi ! Maintenant un parfum sucré envahit mes narines : est-ce du jasmin ? De l’ylang-ylang ?...C’est l’odeur forte et vanillée des fleurs de tiaré dont je m’enivrais, la tête lovée dans le cou de Cathy ! Ma Mélanésienne aux formes généreuses! Comme elle était belle ! Comme j’ai pleuré contre sa poitrine quand elle m’a ordonné de choisir entre elle et « la zore ». « Tu ne seras jamais heureux avec elle comme tu pourrais l’être avec moi ! ».

Le cimetière s’éclaire soudain de faibles lueurs. Mes collègues arrivent en file indienne, sans bruit. Ils tiennent chacun, une bougie. Joseph, Théo et les autres : ils sont tous là. Parmi eux, je ne reconnais pas un individu, le haut du visage dissimulé sous une capuche. Je n’aperçois que son menton proéminent éclairé par la flamme qu’il entoure de ses grandes mains pour la protéger de la brise. Il semble Européen. Que fait-il avec nous ?

Tous déposent leur bougie sur le caveau, puis s’assoient en tailleur, formant un cercle autour de moi. Ensuite, ils versent, tour à tour, dans de petits gobelets, une substance pâteuse, marron et filandreuse, contenue dans trois bouteilles en plastique Mont-Dore. Joseph me tend un grand verre de ce mélange d’herbes peu ragoûtant.
Mes collègues lèvent brusquement leur timbale en l’air et s’écrient : « Héria ! Héria ! ». Ils avalent la mixture d’un seul trait puis se figent. Joseph me fait signe de les imiter. Sans réfléchir, j’ingurgite ce pâté liquide immonde. Je suis agréablement surpris quand je ressens la fraîcheur de la menthe et l’amertume de la réglisse. Rapidement, je suis pris de nausées car ma bouche semble maintenant tapissée de terre moisie. Autour de moi, mes camarades restent parfaitement immobiles, les bras croisés, silencieux. Leur visage ne trahit aucun dégoût. Leurs yeux paraissent fixer un point au loin devant eux.

De longues minutes s’écoulent. Ne pas pouvoir bouger me donne mal au dos. Je n’ose pas troubler ce qui ressemble à une méditation de groupe.

Soudain, une douleur atroce me transperce le bas du ventre comme un coup de poignard. Elle cesse aussitôt. Je suis soulagé. Mais, de nouveau, la même douleur surgit dans mon dos puis disparaît. C’est effrayant ! Que m’arrive-t-il ?
Joseph, suivi de mes collègues, se redressent et crient : « Heria ! ». Je tente de les imiter mais mes jambes sont paralysées ! Je les touche ; je ne ressens rien. C’est affreux ! La souffrance reprend dans mon thorax, cesse, puis apparaît dans mon cou et s’arrête enfin.
Quand Joseph me pousse en arrière, je m’écroule sur la tombe. Je ne peux bouger ni les membres ni la tête. J’ai envie de crier, de pleurer mais aucune larme ne coule de mes yeux, aucun son ne sort de ma gorge. Du regard, je supplie Joseph de m’aider. Une chaleur intense m’envahit pendant que Joseph promène la pierre polie au dessus de mon corps.

Subitement, je me sens projeté au fond d’un trou. Je veux hurler mais cela reste impossible… Où suis-je maintenant?
Il fait soudainement grand jour, le ciel est parfaitement bleu. A quelques mètres au-dessus de moi, une, deux, puis une dizaine de personnes se penchent et semblent m’observer. « Oh! Je suis là! ». Pas le moindre bruit n’est sorti de ma bouche. Que font-ils ? Ils sont tous en train de pleurer! Quelle horreur! Je suis dans un cercueil! Je suis mort, ça y est, c’est fini! Oh non! Je reconnais ma mère, mes quatre sœurs, mes amis, mes grands-parents. L’homme inconnu à la capuche se trouve dans l’assemblée. Pourquoi ? Qui est-il ? « Aidez-moi! Sortez-moi de là! Je ne veux pas mourir! ». Mais ils ne réagissent pas.

Je tente de me calmer. Je dois être en train de rêver. Et, pourtant, cela semble si réel!
Toutes les personnes que j’aime sont là…sauf Arabelle, et mon père ! Où sont-ils ?
Les visages tristes de mes collègues apparaissent. L’un d’eux tient une pelle. Il envoie dans ma direction une pelletée de terre. Oh non ! On m’ensevelit! Je suis là ! Je suis vivant !

Je suis maintenant dans le noir complet. Mort certainement. Et pourtant, je crois respirer encore, c’est étrange !... Je n’entends pas ma respiration. Je peux réfléchir encore mais je ne ressens rien ; seulement de l’angoisse. Alors c’est ça la mort ?

Je perçois, tout à coup, de l’humidité sur mes lèvres. Puis, un liquide glisse sur ma langue, dévale le long de mon œsophage, chute dans mon estomac. Ah, c’est si frais, si agréable! Des picotements me parcourent tout entier. Une lumière orangée apparaît à travers mes paupières. J’ouvre les yeux. Je suis vivant ! Joseph tient à quelques centimètres de mon visage une bougie qu’il balade ensuite au-dessus de mon corps. Derrière lui, je découvre avec un immense plaisir le visage souriant de Théo. A ses côtés, se tiennent l’inconnu à la capuche, la vieille Bertille édentée et la jeune fille Kanak aux yeux bleus. Que font-ils là ? Suis-je dans une deuxième phase d’hallucination?

Au hochement de tête de Joseph, je me relève, soulagé de retrouver toutes mes facultés.
Autour de nous, un brouillard épais a enveloppé le cimetière ; il fait froid et très humide.
Mes collègues se replacent en file indienne derrière Joseph et disparaissent dans l’obscurité farineuse. Je réalise que la jeune Kanak et Bertille se sont également évaporées.
J’entends une voix féminine m’appeler : « Ulysse ! Ulysse ! ». Je me dirige à tâtons dans sa direction. Je trébuche et m’affale. Ma tête percute l’angle d’une tombe.




-III-


Le soleil est brûlant. Je transpire à grosses gouttes. Le dos me démange. Quand j’ouvre les yeux, je suis enfoncé dans le tas de compost. Du fil de fer me sangle le bras. Je le dénoue. A son extrémité, quelques fleurs fanées sont entortillées et sur un ruban rose bonbon, je lis : « A notre cher patron bien aimé ». C’est un reste de couronne mortuaire. Je me dégage péniblement des branchages. Je suis couvert d’herbes et de terre. Une fois debout, j’avance en titubant ; mon corps tout entier est lourd et douloureux. J’ai l’impression que ma tête va exploser ; mes oreilles bourdonnent ; mes tempes palpitent.
Derrière la cabane, je me rince le visage au jet d’eau et j’enfile le tee-shirt et le pantalon de treillis propres qu’on a posés à l’entrée du réduit sur une caisse en bois. Une enveloppe vole à mes pieds ; elle m’est adressée ; je l’ouvre : « N’aie pas peur, ne t’énerve pas, écoute ton cœur, accepte-toi. Germain ». Etrange, qui est Germain et pourquoi m’envoie-t-il ce message ?
Quelle nuit horrible ! J’ai cru y rester ! Le mélange pâteux que j’ai ingurgité était surpuissant ; Joseph ne m’a pas épargné ! Je vais appeler mes parents, mes sœurs, mes amis et Arabelle le plus tôt possible ! Ca fait trop longtemps que je ne leur ai pas donné de signe de vie. Et je veux être rassuré sur leur santé.

« Bonjour Ulysse ! ».
Je reconnais, derrière la haie, la voix de la jeune Kanake aux yeux bleus.
- Où es-tu ?
Elle ne me répond pas mais je l’entends rire aux éclats. Je contourne la haie du compost sans la trouver… Je suis trop fatigué pour jouer à cache-cache aujourd’hui ; ce sera pour plus tard !
Quand j’aperçois de l’autre côté de la mangrove des collégiens qui jouent au basket, je réalise qu’il est déjà treize heures!

Je remonte alors la butte du monument des forces armées américaines. Un chien vient à ma rencontre en aboyant. Les chiens sont interdits dans le cimetière! D’où vient ce beau bâtard à l’air jovial ? Je tente de le caresser mais il file dans la direction opposée ; il zigzague entre les tombes, la langue pendante, la queue remuante. Il faut que je l’attrape et que je le fasse déguerpir du 6ème. Mais, je peine à le suivre. Il est temps que j’aille me reposer chez moi et que j’avale une bonne dose de paracétamol !
Parvenu de l’autre côté de la colline, je retrouve le chien vautré aux pieds de Bertille assise sur une tombe. Ils se sont installés à l’ombre, dans le secteur des animaux domestiques enterrés. Quand je m’approche, elle me demande : « Bien reposé mon garçon ?
- Hum… j’ai fait une petite sieste après ma pause-déjeuner !
- Tu appelles ça une sieste, dormir neuf heures d’affilées dans un tas de feuilles !?
- …?
- C’est moi qui ai alerté Joseph quand tu t’es évanoui en pleine nuit au beau milieu du cimetière. Je l’ai persuadé de te porter jusqu’au compost. Je pensais que tu serais plus en sécurité derrière le monceau d’engrais.
- Vous étiez donc parmi mes collègues cette nuit pendant mon initiation ; je n’ai donc pas rêvé ! Mais pourquoi ?
Elle esquive toute explication d’un clin d’œil. Puis, au chien qui s’est relevé, elle ordonne : « Couché Domino ! ». Le chien monte sur la dalle, à côté de Bertille, et s’aplatit.


« Ulysse ! Ulysse ! ». La jeune Mélanésienne aux yeux bleus m’interpelle. Je me retourne ; je ne réussis toujours pas à la repérer. Elle se tapit probablement derrière une des tombes sur la droite. Ce petit jeu commence à m’énerver ! Et puis, elle peut, de temps en temps, s’amuser dans le cimetière, cela égaie un peu ce lieu morbide, mais il existe bien d’autres lieux de divertissement beaucoup plus adaptés aux enfants! Dès que j’en ai l’occasion, j’en discute avec ses parents !
Quand je me retourne vers Bertille et son chien, ils se sont éclipsés à leur tour. Je vais bientôt attraper un torticolis avec tous ces jeux puérils, ces discussions à demi-mots, très énigmatiques ! Je vais dès à présent réclamer à Joe une demi-journée de repos, c’en est assez ! A cette heure-ci, il doit être au jardin tropical de la colline des incinérés.

En chemin, je croise une très belle femme Mélanésienne. Elle quitte le cimetière. Elle doit avoir une quarantaine d’années ; ses yeux sont turquoise. Je suis persuadé de l’avoir déjà rencontrée, mais impossible de me souvenir où et quand. Arrivé près des grilles de l’entrée, je questionne le gardien :
« Je cherche Joe pour prendre ma journée ; je suis trop crevé, je crois que je suis encore sous l’effet du mélange d’hier soir. Est-ce que Joe est là-haut ?
- Non, il est parti ce matin ; il ne revient travailler que demain.
- Ah bon ? Ah sacré Joe, lui aussi a trop forcé sur la dose ! Au fait, t’avais déjà vu la jolie femme qui vient, à l’instant, de sortir?
- Elle est trop vieille pour toi copain! Mais c’est vrai qu’elle est sacrément belle ! Elle vient très souvent ici, à peu près tous les deux, trois jours. Elle va se recueillir sur la tombe de sa fille dans le carré B.
- OK ! Merci ! Ciao !

Très intrigué par cette belle créature aux yeux verts, je décide de faire un tour, avant de partir, sur le carré B. Sur place, je suis ébloui par le soleil. Il se reflète dans un cadre métallique flambant neuf. Je m’en approche. Et là, je découvre avec stupeur, la photo de la jeune fille Kanake aux yeux bleus. « Angela Lyz Hnageje ». C’est impossible ! Je l’ai entendu prononcer mon prénom il y a quelques minutes seulement!... Alors, ce n’était sûrement pas elle ! Quand je pense que sous l’effet de l’hallucinogène de Joe, je l’ai vue cette nuit au milieu du cimetière, parmi mes collègues ! Pauvre enfant ; je ne l’ai connue que très peu mais je suis pourtant si triste qu’elle soit décédée ! C’est étrange, je n’ai aucun souvenir de son enterrement récemment. Quand est-elle morte ? « 24 avril 1976 - 10 juin 1989 » ! C’est terrifiant ! Je dois être vraiment être très fatigué ! Je réfléchirai à tout ça quand j’aurai bien dormi.

Je rejoins ma voiture. Je rentre chez moi et m’endors rapidement. Au milieu de la nuit, je me réveille en sursaut. Mes douleurs ont disparu mais mon estomac creux émet des gargouillis sonores. Je me prépare un énorme plat de pâtes. Pendant que j’ingurgite à toute allure mes spaghettis au fromage, les visions de la nuit précédente me reviennent. Cette expérience était si réaliste et angoissante !
J’ai peur pour ma famille. Il est deux heures du matin. Je décide de leur téléphoner.
« Maman, allô ?
- Allô ! Ulysse, mon chéri! Comment vas-tu ?
- Et vous tous?
- Oui, oui, on va bien !
- Ah !
- Et toi Ulysse ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Mais rien, tout va très bien !
- Pourquoi nous appelles-tu après deux mois sans nouvelles ? On s’inquiétait pour toi, Ulysse ! Ton numéro de téléphone ne passait pas, tu n’as plus répondu à nos mails ?!
- Arrête de me poser des questions !
- Ulysse, tu étais si proche de tes sœurs. Tu ne les appelles plus depuis que tu es en Nouvelle-Calédonie et depuis que... Ulysse, tu m’entends ?
- Oui…. Maman, ça va, ne t’inquiète plus ! Je vais me recoucher ; je vous rappelle très bientôt, c’est promis ! Au revoir Maman ! Grosses bises.
- Très grosses bises Ulysse, Bye ! Appelle-moi bientôt !
Clic.
Ah, je suis rassuré, ils vont bien !
Et Arabelle ? Si je l’appelle à cette heure avancée de la nuit, elle risque d’être excédée, jalouse et de me rabâcher que je suis irresponsable. Je vais plutôt lui envoyer un mail. J’allume mon ordinateur et je commence à rédiger un message dans lequel il est question de mon bizutage… que je finis par effacer. Elle me qualifierait de drogué, sinon de fou! Au bout du compte, je décide de lui annoncer le mariage de Théo à Lifou, de lui évoquer les charmes de cette île paradisiaque. Je lui apprends également que j’ai signé un CDI. Peut-être aura-t-elle envie de me rejoindre en Calédonie! Le mail envoyé, je me recouche.

Toutes les heures, je me réveille le cœur battant, craignant de revivre mon enterrement éveillé. Je ne veux pas mourir tout de suite ! Je veux vivre ! Je veux construire une famille, avoir une brocante. Pourquoi pas avec Arabelle ? On peut se réconcilier. On s’aime au fond ! On s’est disputés mais peut-être que tout n’est pas perdu ! J’admets que nous sommes très différents. Arabelle est maniaque, très organisée, pragmatique. Je suis plutôt rêveur, j’aime vivre au jour le jour. Arabelle adore tout planifier, se projeter dans l’avenir. Je ne sais pas le faire ; le futur m’angoisse. Pour moi, prévoir tout à l’avance c’est être prisonnier d’une vie déjà construite, sans surprise, apathique. Et pourquoi vouloir absolument se marier si l’on est heureux ensemble! Elle me certifie que je ne dis pas oui au mariage parce que je ne suis pas sûr de mes sentiments, ni assez mature mais c’est faux! J’étais si triste, si vexé, si bouleversé qu’elle pense que je ne l’aime pas assez fort alors que je n’ai jamais autant aimé une fille! Je me suis senti humilié. Est-ce que je l’aime autant maintenant ? Peut-être que non.

Mon réveil retentit. Il est cinq heures trente. Je me douche. Je bois un café. Je retourne malgré moi au cimetière. Dès mon arrivée, je cherche Joe. Il est introuvable. Je l’attends près de la tombe de son maître à six heures. Les minutes passent. Joe ne viendra pas.

Le bourdonnement des tondeuses résonne ; c’est le jour de la tonte du gazon au cimetière du 6ème. Je me dirige vers le compost récupérer mon matériel de taille. Je constate que Bertille et son chien sont auprès de la tombe de leur mari et maître. Je m’avance vers eux.
« Bonjour Bertille ! Un peu d’eau? ». Elle m’indique un vase contenant des fleurs en plastique appuyé contre la stèle. Je tire le vase vers moi et j’observe la tombe pendant que je verse l’eau : « Ici reposent en paix Bertille Wabete 1923-2004 » et puis plus bas « Armand Wabete 1921-2003 ». Je lève les yeux, Bertille sourit. Je frissonne. Son chien aboie. Elle crie : « Domino ! Rentre à la niche ! ». Le chien galope vers le carré des animaux et disparaît ! Je n’ose pas bouger. Mes mains tremblent. « A tout à l’heure Ulysse ! » me lance la vieille. Elle s’évapore sous mes yeux. Oh Non ! Je suis encore sous l’effet du mélange hallucinogène ! C’est décidé, je ne fumerai ni n’absorberai plus aucune substance ! C’est trop dangereux ! Je n’aime pas du tout ce mauvais délire ! Vivement qu’il s’arrête !

Un de mes collègues tond un coin d’herbe non loin de moi. Je l’examine. Il semble bien réel. Le bruit aussi. Je m’approche et lui tapote l’épaule. Il arrête sa machine :
« Quoi Ulysse? »
- Je veux voir immédiatement Joseph ! Où est-il ? Tu vas me le dire tout de suite !
- Oui, oui, ne t’énerve pas !... Tiens, justement, il est là !
- Joseph, je veux des explications ! Qu’est-ce que tu m’as donné ! J’ai des hallucinations depuis que j’ai avalé cette saleté !
- …Ils vont t’aider.
- Qui ?
- Ils vont t’aider à guérir, à t’en sortir,
- A me sortir de quoi ?
- A toi de le découvrir !
- Ah ! Arrête maintenant avec tes airs mystérieux permanents, tes devinettes à la con!
Je le saisis par les deux épaules.
- Non, Stop ! Me somme-t-il.
Il me fixe, soutient mon regard ; je le lâche. Je repense tout à coup au mot que j’ai trouvé dans le réduit « Ne t’énerve pas ! ».

Théo nous a rejoints.

Un impressionnant bombardier américain traverse à nouveau le ciel au-dessus de nous, avant d’atterrir à l’aéroport de Magenta. Je m’exclame interloqué :
- Cet énorme avion vole beaucoup trop bas! Théo, t’as entendu parler d’un rassemblement d’avions militaires américains venant en Calédonie? C’est la deuxième fois que j’en vois un en quelques jours !
- Non. Aucun avion militaire ne vient de passer.
- Arrête de blaguer. Tout le monde l’a entendu, c’était assourdissant enfin !
- Non.
Mon corps se met tout entier à trembler contre mon gré. J’ai très peur. Je deviens fou !
Je me risque : «La vieille Bertille et la jeune Angela, tu ne les vois pas non plus ? Moi seul les perçois?
- Hum oui…
- Dis-moi ! Je suis encore sous l’effet des herbes ? Combien de temps ça va durer ? J’en peux plus ! Que va-t-il m’arriver ?
- Les tiens sont là pour toi.
- Les miens ? Ah, parce que toi, tu as les tiens ? Qui sont-ils ?
En ricanant, je rajoute :
- Tu as ton pêcheur de crabes coco lifouen?
- N’aie pas peur ; ils vont t’ouvrir les yeux !

« N’aie pas peur ! ». Où ai-je déjà entendu cela ?



IV- RENCONTRE AVEC GERMAIN


Depuis mon rite d’initiation, le mélange de plantes que j’ai bu n’a malheureusement pas encore cessé d’agir. Mes hallucinations se poursuivent. Je commence à me demander sérieusement s’il ne serait pas raisonnable d’aller consulter un médecin. Peut-être existe-t-il un antidote ? Chaque matin, j’arrive sur mon lieu de travail avec l’espoir de ne plus percevoir ni Bertille, ni son chien, ni Angela, ni le bombardier américain. Mais tous m’apparaissent, malheureusement de plus en plus fréquemment ; l’avion devient particulièrement bruyant et vole trop bas. Mes visions me rendent très nerveux et anxieux. Je tente de me montrer indifférent mais c’est sans effet.
J’espérais avoir quelques nouvelles d’Arabelle. J’aurais aimé qu’elle m’apporte son réconfort, mais elle ne s’est pas manifestée. En fait, je n’oserais jamais lui parler de mes rêves éveillés de morts-vivants! A qui puis-je me confier ? Certainement pas à mes collègues, encore moins à Théo! Quel naïf je suis d’avoir accepté ce rite comme un petit jeu d’adolescents attardés ! Mes collègues ont tout bonnement réussi à me droguer. Je me demande même s’ils n’avaient pas commencé à le faire bien avant le rite quand nous buvions des bières. Cela expliquerait mes toutes premières visions d’Angela et de Bertille.
La meilleure chose à faire avant que je ne devienne complètement paranoïaque est de quitter ce travail au cimetière. Ce serait l’occasion, enfin, de posséder ma propre brocante. Oui, c’est décidé, je rédige dès à présent ma lettre de démission. Demain, je la remettrai à Joseph à la première heure puis demain après-midi, je ferai les petites annonces pour trouver un local.


Six heures moins cinq. Je suis à l’entrée du cimetière. Joseph est assis sur la tombe de son cher maître. Il me regarde avancer vers lui d’un pas décidé. Comme d’habitude, il semble déjà savoir ce que je m’apprête à faire. Je lui tends mon enveloppe, il la prend puis il me propose calmement :
« Avant de l’accepter, j’aimerais que tu rencontres un ami, un homme de confiance. Il pourra peut-être calmer tes angoisses, t’aider à comprendre,
- Non Joseph, je n’ai pas l’intention d’appartenir à ton groupe qui m’a tout l’air d’une secte. Je ne rencontrerai pas ton gourou ! Tu m’as drogué sans m’avertir du danger ; je ne peux plus te faire confiance, encore moins à ton ami qui m’est inconnu,
- Il ne t’est pas complètement inconnu. C’est un homme qui visite souvent notre cimetière.
Derrière Joseph, un homme portant une capuche s’est approché ; son menton est proéminent. C’est l’inconnu à la capuche que j’ai aperçu pendant la nuit d’initiation !
L’homme se découvre. Je reconnais, en effet, un habitué du cimetière que je croyais alcoolique. Il erre fréquemment seul entre les tombes.
Il me tend la main :
- Bonjour, je suis Germain !
- Bonjour.
- Ulysse, comme tes collègues ici, tu as un don qui s’est développé avec le mélange de plantes que t’a offert Joseph. Tu as la capacité de voir des morts, si eux le désirent. Ce sont toujours eux qui décident du lieu et du moment où tu les rencontres. Certains se réveillent un instant pour t’envoyer un message ; ce sont des âmes tristes et généreuses. Si tu les écoutes bien, elles pourront t’aider.
- C’est la troisième fois que j’entends ce discours absurde : « ils pourront m’aider », m’aider à quoi ? Pour quoi ? Je vais très bien ! J’aimerais uniquement que toutes ces hallucinations s’arrêtent !
- T’aider à comprendre ton passé qui te poursuit, qui t’aveugle dans certaines situations,
- Vous êtes qui, vous, pour juger que je doive régler des problèmes de mon passé ? Vous parlez comme un psy !
- Je suis un homme qui n’est pas fier de ses expériences passées, qui aimerait aider le jeune homme que tu es à devenir heureux, responsable de ses rencontres. J’aimerais que, contrairement à moi, tu ne fuies plus devant les difficultés.
- Ouais, peut-être… et que suis-je censé faire pour capter le message de ces pauvres âmes venues spécialement pour moi ?!...Je ne vois pas comment le bombardier américain, par exemple, pourrait m’envoyer un message : il n’a jamais largué aucun colis porteur de lettres ; par contre, j’ai plutôt l’impression qu’il tente de me faucher à chacun de ses passages !
- S’ils ne t’envoient pas clairement de message, découvre alors qui ils sont !... Bon, je te laisse. Au revoir Ulysse !
- Au revoir!


Il est presque sept heures du matin. Je n’ai pas l’intention de rester traîner ici plus longtemps. Joseph, une fois de plus, a disparu discrètement ; à croire que c’est un fantôme lui aussi ! Je n’ai aucune envie de parcourir toutes les allées du cimetière pour le retrouver. Je tire de ma poche un morceau de papier et un crayon : « Joseph, je suis parti essayer de « comprendre ». Je prends ma journée. Ulysse. ». Je glisse le mot dans l’encadrement de la photo du vieux maître japonais et me précipite vers les grilles du cimetière.


Vingt-trois heures trente. Mon bureau, mon canapé, ma table basse et le sol de mon studio sont jonchés de documents. J’ai passé, la journée à la mairie de Nouméa, aux Nouvelles Calédoniennes puis sur internet à récolter des informations sur mes trois fantômes. Bertille et Angela semblent avoir eu des vies sans histoires. Ce qui les rapproche est que toutes les deux se sont suicidées. Bertille certainement à cause de la mort de son mari, Angela sans raison apparente. Comment une enfant de treize ans a-t-elle pu vouloir se donner la mort ? Le bombardier américain se serait crashé dans le lagon en juin 1942. L’article indique qu’on ignore la cause de cet accident, qui, « heureusement », n’a causé la mort que du pilote, étrangement seul à bord de l’engin. Se serait-il suicidé lui aussi ?
Je réalise soudain que la date de leur disparition est la même : le 10 juin ! C’est surprenant! Seules les années diffèrent : le pilote américain s’est tué le 10 juin 1942, Angela est morte le 10 juin 1989 et Bertille est décédée le 10 juin 2004 !
Quelle est cette date étrange ? J’ai l’intuition que je la connais mais pour quelle raison ? A quoi correspond-elle ? Rapidement, je note les dates d’anniversaire de mes sœurs, de mes parents, de mes grands-parents, amis proches, les dates de décès de mon entourage… Je ne trouve aucun 10 juin ! Peut-être concerne-t-il un de mes collègues ? Ou ma mort prochaine ? J’en frémis mais je me rassure : les spectres que je vois apparaître sont, d’après mes collègues, bienveillants ; ils sont censés être là pour m’aider ! Incapable de trouver pour l’instant à quoi correspond cette date, je vais dormir. Je continuerai mes recherches demain.


Je suis retourné ce matin au cimetière beaucoup plus serein que ces derniers jours. Et l’incroyable s’est produit : aucun de mes revenants n’est apparu dans la journée ! J’étais ravi mais, en même temps, déçu : je n’ai pas pu leur poser de questions, malgré mon appréhension à discuter avec des morts-vivants ! J’ai beaucoup observé les tombes d’Angela et de Bertille essayant de dénicher un indice. Pourquoi donc le 10 juin ? …Le 10/06 ou encore X/VI, comme sur celle de mon rite d’initiation! C’est stupéfiant! Je me précipite alors sur la tombe E19 mais aucune lettre n’apparaît sur la croix en contre-plaqué. Je m’assois dans l’allée, agacé de ne pas trouver de réponse à cette énigme.
Il fait très chaud. Le ciel est complètement dégagé. Aujourd’hui, aucun nuage ne s’accroche au mont Koghi. Il doit faire plus frais là-haut. J’y monte dès maintenant !


Quinze heures trente. Je me gare sur le parking de l’auberge du mont Koghi. Je commande une bière et je me cale sur une chaise en plastique devant la vue dégagée de Nouméa. Les baies sont d’un beau turquoise et ponctuées de minuscules toiles colorées. A cette heure-ci, le restaurant est très calme. Derrière moi, trois randonneurs transpirants et terreux s’esclaffent, des cocas à la main, visiblement satisfaits de leur balade. A ma droite, un homme est penché sur un journal qu’il maintient des deux coudes pour éviter qu’il ne s’envole. Il me sourit : « Bonjour Ulysse ! ». Je suis étonné, c’est Germain habillé d’un short et d’un tee-shirt très moulants. Dans cette tenue, il n’a plus l’allure de l’alcoolique se promenant au 6ème mais plutôt celle d’un grand sportif.
« Bonjour Germain !
- Il fait doux ici et la vue est belle ! C’est le lieu idéal pour faire avancer nos réflexions, n’est-ce-pas ?
- Je l’admets, oui!
- Alors, où en sont tes recherches ?
- Je bute sur une date. Mes trois esprits sont morts un même jour, le 10 juin ; je ne vois pas du tout à quoi cette date peut correspondre!
- As-tu réfléchi aux évènements qui ont compté dans ta vie ?
- Non, pas vraiment.
- Quand es-tu arrivé en Nouvelle-Calédonie ?
- En août, l’année dernière !
- Tu venais de Métropole ?
- Non, j’arrivais de Melbourne.

Germain m’a posé ensuite de nombreuses questions sur mon passé. Il a, par contre, très peu évoqué sa propre vie. Je n’ai pas su quelle était sa profession ; je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il est médecin ou professeur. Il m’a semblé comprendre qu’il était divorcé ; qu’il avait un frère très différent de lui. J’ai senti qu’il regrettait beaucoup sa vie passée, bien qu’il m’apparaisse comme quelqu’un de très généreux.
Je me sentais très à l’aise avec lui. Jamais je ne m’étais confié à quelqu’un comme j’ai pu le faire avec cet homme. J’ai tout abordé de ma vie avec lui, sans complexes : Arabelle, Melbourne, ma vie familiale entre Bordeaux et les Pyrénées, ma mère qui nous a élevés, mes quatre sœurs et moi, le Broc, mon ami brocanteur, qui m’a transmis sa passion pour les objets anciens.

A la tombée de la nuit, j’avais bu quatre bières, Germain cinq. Et quand il a souhaité savoir où était mon père, j’ai éclaté en sanglots. Je me suis souvenu de tout, en un instant : le 10 juin 1992, mon père se suicidait pratiquement sous mes yeux ! J’avais treize ans. J’étais en vacances dans notre vieille ferme des Pyrénées, seul avec mon père. Il était vingt-deux heures, je revenais du potager, quand j’ai aperçu, derrière la porte vitrée de la cuisine, une longue masse se balancer. J’ai couru et j’ai crié quand j’ai compris que mon père émettait son dernier souffle, la gorge étranglée par la corde. Je me suis évanoui. Je suis resté dans le coma pendant deux mois. Ma mère n’a jamais osé me reparler de cet évènement à mon réveil, sûrement angoissée à l’idée qu’elle pourrait me voir disparaître définitivement si, je perdais connaissance, une seconde fois. Pendant mon coma, mon père m’est apparu. Il m’a expliqué qu’il se trouvait lâche, qu’il éprouvait de la honte à aimer vivre seul alors qu’il nous chérissait ma mère et nous, ses cinq enfants. Il se sentait coupable de rechercher la solitude, les montagnes, le silence, le bêlement de ses moutons.
Depuis l’âge de treize ans, ma mémoire me protégeait de ce souvenir traumatisant. Je me persuadais que mon père nous avait abandonnés pour vivre seul dans les Pyrénées. Ma conscience ignorait sa mort.

***

Je ne cesse de pleurer depuis deux semaines mais je me sens enfin si léger!
J’ai écrit une longue lettre à Arabelle. Je lui ai avoué l’avoir profondément aimée mais ne jamais avoir été très heureux avec elle. J’ai ajouté qu’elle ne me semblait pas non plus très épanouie à mes côtés. Je lui expliqué nos profondes différences. J’ai conclu que nous ne nous pouvions nous marier. Je lui ai souhaité bonne chance pour l’avenir.





V- ENTERREMENT DE GERMAIN MOUROT



Neuf heures du matin, le cimetière ensoleillé est fleuri. Pourtant, aujourd’hui, j’aimerais que le ciel soit gris, qu’il pleuve comme lors des précédentes semaines au passage du cyclone Léon. Je suis penché au-dessus d’une fosse fraîchement creusée, triste et déçu : on y enterre dans quelques instants mon ami Germain. Je venais à peine de le rencontrer, mais il comptait déjà beaucoup pour moi. J’ai appris dans le journal qu’on l’avait retrouvé mort au bas d’une falaise dans la province Nord. Quand je pense qu’il m’avait confié il y a quelques jours seulement qu’il « quitterait bientôt la vie superficielle de Nouméa » ! Se doutait-il qu’il allait mourir ? Je ne conçois pas qu’il se soit suicidé ; il semblait torturé mais pas dépressif.

L’assemblée endeuillée suit le cercueil et pénètre dans le cimetière. Je m’éloigne de la fosse. Je ne veux pas être spectateur de sa mise en terre ; ça me rappelle de mauvais souvenirs. Sur les hauteurs du cimetière, nous sommes plusieurs à assister en retrait, à ces funérailles. Un homme, le front plissé, observe avec beaucoup d’attention chaque personne présente. Il tient un carnet et un stylo. Sans doute est-ce le commissaire chargé de l’enquête sur la mort de Germain. Je devine derrière lui, parmi les herbes hautes, une petite vieille qui époussette la tombe d’un de ses ancêtres. Sur la butte opposée, un homme d’une soixantaine d’années est immobile à l’ombre du bancoulier. Il semble troublé. Qui observe-t-il avec insistance? Je crois rêver ! Il dévisage quelqu’un ressemblant trait pour trait à Germain ! C’est le frère dont Germain m’a brièvement parlé ! J’ignorais qu’ils étaient jumeaux ! Quelle ressemblance, c’est impressionnant ! Même son regard est identique à celui de mon ami, parfois inquisiteur, triste et fuyant.

La cérémonie terminée, le cortège déserte les lieux abandonnant quelques couronnes de fleurs sur le monticule de terre. J’aperçois un homme agenouillé, se redresser derrière le tertre. Est-ce le jumeau ou le spectre de Germain qui vient d’apparaître? L’individu déchiffre amusé les mots qui sont adressés au défunt. Puis il lève la tête et me lance :
« Ulysse ! Approche-toi ! ».
J’avance, intrigué. Arrivé devant la tombe de Germain, le fantôme s’évanouit. A mes pieds, se dessinent alors dans la terre, quelques lettres.



-VI -

« Allô ?
- Allô, Bonjour! C’est Eve Lesage. Théo Hnagae?
- Oui ?
- je suis la mère d’Ulysse. J’ai eu votre Numéro par la direction du cimetière du 6ème kilomètre. Voilà, je vous appelle car je suis très inquiète, je n’ai aucune nouvelle de mon fils depuis plusieurs mois. On m’a dit qu’il ne travaillait plus au cimetière !
- Non, on l’a pas revu depuis quatre mois.
- On m’a dit que vous étiez son ami. Vous savez où il est maintenant ? S’il va bien ?
- Hum… Non, j’sais pas. J’crois qu’il a quitté la Calédonie !
- Ah bon ? Mais où est-il ? Vous avez une idée ? Il ne vous a rien dit ?
- …
- Vous savez quelque chose ? Dites-moi !
- …
- Dites-moi seulement s’il va bien ! Rassurez-moi !
- Oui, je pense…
- Ah ?
- J’ai reçu une lettre il y a deux semaines… Il disait qu’il partait chercher certaines réponses ailleurs.
- Des réponses ? A quoi ?
- J’sais pas ! Des réponses ! Il a dit quequ’chose comme : « j’ai affronté mes démons ici. Et puis, je reviendrai quand j’aurai aidé un ami ». Il a dit qu’il nous remerciait, qu’il nous embrassait tous, qu’il fallait pas qu’on se fasse du mauvais sang. Il a dit que si vous appeliez, fallait vous dire qu’il vous embrassait aussi ! Voilà !
- Mais où est-il ?
-…
- Il ne l’a pas mentionné dans sa lettre ?
- Non…
- Et d’où venait-elle ?
- De Port-Vila, du Vanuatu.

FIN

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